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1793
Déclaration des droits
de la Femme et de la Citoyenne

À décréter par l’assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.

PRÉAMBULE

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits suivans de la Femme et de la Citoyenne.

Article premier.

La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

II.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et sur-tout la résistance à l’oppression.

III.

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

IV.

La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les loix de la nature et de la raison.

V.

Les loix de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société : tout ce qui n’est pas défendu par ces loix, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.

VI.

La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, & sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

VII.

Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, & détenue dans les cas déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.

VIII.

La Loi ne doit établir que des peines strictement & évidemment nécessaires, & nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.

IX.

Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.

X.

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.

XI.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

XII.

La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, & non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée.

XIII.

Pour l’entretien de la force publique, & pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.

XIV.

Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentans, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non-seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôt.

XV.

La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.

XVI.

Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction.

XVII.

Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles ont pour chacun un droit inviolable et sacré ; nul ne peut en être privé comme vrai patrimoine de la nature, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

POSTAMBULE.

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnois tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la foiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs Français, correcteurs de cette morale, long-temps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinoient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; & puisqu’il est question, en ce moment, d’une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l’éducation des femmes.

Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ; le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé.

Dans cette sorte d’antithèse, que de remarques n’ai-je point à offrir ! je n’ai qu’un moment pour les faire, mais ce moment fixera l’attention de la postérité la plus reculée. Sous l’ancien régime, tout étoit vicieux, tout étoit coupable ; mais ne pourroit-on pas apercevoir l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n’avoit besoin que d’être belle ou aimable ; quand elle possédoit ces deux avantages, elle voyoit cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en profitoit pas, elle avoir un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune, qui la portoit au mépris des richesses ; alors elle n’étoit plus considérée que comme une mauvaise tête ; la plus indécente se faisoit respecter avec de l’or ; le commerce des femmes étoit une espèce d’industrie reçue dans la première classe, qui, désormais, n’aura plus de crédit. S’il en avoit encore, la révolution seroit perdue, et sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus ; cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme achete, comme l’esclave sur les côtes d’Afrique. La différence est grande ; on le sait. L’esclave commande au maître ; mais si le maître lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a perdu tous ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes mêmes de la bienfaisance lui sont fermées ; elle est pauvre et vieille, dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? D’autres exemples encore plus touchants s’offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle aime, abandonnera ses parens pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui, plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. S’il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelqu’engagement le lie à ses devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S’il est marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles lois restent-il donc à faire pour extirper le vice jusques dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l’administration publique. On conçoit aisément que celle qui est née d’une famille riche, gagne beaucoup avec l’égalité des partages. Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec du mérite et des vertus ; quel est son lot ? La pauvreté et l’opprobre. Si elle n’excelle pas précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique, quand elle en auroit toute la capacité. Je ne veux donner qu’un aperçu des choses, je les approfondirai dans la nouvelle édition de mes ouvrages politiques que je me propose de donner au public dans quelques jours, avec des notes.

Je reprends mon texte quant aux mœurs. Le mariage est le tombeau de la confiance & de l’amour. La femme mariée peut impunément donner des bâtards à son mari, et la fortune qui ne leur appartient pas. Celle qui ne l’est pas, n’a qu’un faible droit : les lois anciennes et inhumaines lui refusaient ce droit sur le nom & sur le bien de leur père, pour ses enfants, et l’on n’a pas fait de nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une consistance honorable et juste, est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma part, et comme tenter l’impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette matière ; mais, en attendant, on peut la préparer par l’éducation nationale, par la restauration des mœurs et par les conventions conjugales.

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