1844
Pétition des ouvriers parisiens
pour l'abolition de l'esclavage des Noirs
Messieurs les Députés,
Les soussignés ouvriers de la capitale ont l'honneur, en vertu de l'article 45 de la Charte Constitutionnelle, de venir vous demander de bien vouloir abolir, dans la session, l'esclavage. Cette lèpre, qui n'est n'est plus de notre époque, existe cependant dans quelques possessions françaises. C'est pour obéir au grand principe de la fraternité humaine, que nous venons vous faire entendre notre voix en faveur de nos malheureux frères, les esclaves. Nous éprouvons aussi le besoin de protester hautement, au nom de la classe ouvrière, contre les souteneurs de l'esclavage, qui osent prétendre, eux qui agissent en connaissance de cause, que le sort des ouvriers français est plus déplorable que celui des esclaves. Aux termes du Code Noir, édition de 1685, articles 22 et 25, les possesseurs doivent nourrir et habiller leur bétail humain ; il résulte de publications officielles faites par le Ministère de la Marine et des Colonies, qu'ils se déchargent de ce soin, en concédant le samedi de chaque semaine aux esclaves. Ceux de Guyane française n'ont qu'un samedi nègre par quinzaine, contrairement aux défenses de l'article 24 du Code Noir et aux pénalités de l'article 26.
Quels que soient les vices de l'organisation actuelle du travail en France, l'ouvrier est libre, sous un certain point de vue, plus libre que les salariés de la propriété pensante.
L'ouvrier s'appartient ; nul n'a le droit de le fouetter, de le vendre, de le séparer vilemment de sa femme, de ses enfants, de ses amis. Quand bien même les esclaves seraient nourris et habillés par leurs possesseurs, on ne pourrait encore les estimer heureux, car comme l'a bien résumé M. le duc de Broglie, il faudrait autant dire que la condition de la bête est préférable à celle de l'homme, et que mieux vaut être une brute qu'une créature r&isonnable. Fiers de la sainte et généreuse initiative que nous prenons, nous sommes sûrs que notre pétition aura de l'écho dans notre noble patrie, et nous avons confiance dans la justice des députés de France.
Paris, le 22 janvier 1844,
Signé : Julien Gallé et 1505 signatures.
in : Aimé CÉSAIRE Victor Schoelcher et l'abolition de l'esclavage Éditions le Capuvin, 2004, pages 25 et 26.
Que l'on se représente Auschwitz et Dachau, Ravensbrück et Mathausen, mais le tout à l'échelle immense - celle des siècles, celle des continents - l'Amérique transformée en "univers concentrationnaire", la tenue rayée imposée à toute une race, la parole donnée souverainement aux Kapos et à la schlague, une plainte lugubre sillonant l'Atlantique, des tas de cadavres à chaque halte dans le désert ou dans la forêt, et les petits bourgeois d'Espagne, d'Angleterre, de France, de Hollande, innocents Himler su système, amassant de tout cela le hideux magot, le capital criminel qui fera d'eux des capitaines d'industrie. Qu'on s'imagine tout cela et tous les crachats de l'histoire et toutes les humiliations et tous les sadismes et qu'on les additionne et qu'on les multiplie et on comprendra que l'Allemagne nazie n'a fait qu'appliquer en petit à l'Europe ce que l'Europe occidentale a appliqué pendant des siècles aux races qui eurent l'audace ou la maladresse de se trouver sur son chemin.
L'admirable est que le nègre ait tenu.
Beaucoup mourraient. Les autres tenaient.
Aimé CÉSAIRE Victor Schoelcher et l'abolition de l'esclavage. Édition le Capucin 2004, page 35.