1088
Shen Kuo publie son Mengxi Bitan
La troisième année de l'Empereur Zhezhong de la dynastie Song, soit en 1088 de notre ère, le savant Shen Kuo (沈括 ou Shěn Kuò) publie un étrange ouvrage connu sous le nom de Meng Xi Bi Tan (夢溪筆談 ou en sinogrammes simplifiés 梦溪笔谈, soit Mèng Xī Bǐ Tán). Le titre seul de l'ouvrage mérite une dissertation à lui tout seul : selon les principes de traduction que l'on choisit d'adopter, cet intitulé peut donner en français "Conférence au stylet de MengXi" ou "Discussion à la plume de MengXi". Ce nom de lieu signifie "Ruisseau de Rêve" : il désigne le jardin particulier de Shen Kuo. La version poétique de ce titre s'énonce donc comme suit : "Discussion au pinceau de Ruisseau de Rêve"... Tout un programme, qui vaut bien la référence aux Jardins d'Akadémos !
Shen Kuo est un fonctionnaire et officier militaire à la retraite, féru de toutes sortes de connaissances. Sa carrière, commencée par la planification d'une de ses inventions pour aménager 400 km carrés de marais en terres arables, prend un élan décisif avec un brillant succès aux concours de recrutements de fonctionnaires. Tout-à-tour commandant militaire, ambassadeur, réformateur du calendrier chinois, haut fonctionnaire aux finances, ingénieur hydrologue. Une carrière militaire est entravé par la jalousie d'un fonctionnaire rival mais il est finalement blanchi de multiples accusations calomnieuses. Au temps où il est assigné à résidence, il se retire dans sa nouvelle propriété, agrémentée d'un somptueux jardin, "le Ruisseau de rêve". Il y compose deux atlas et son Mengxi Bitan.
Le livre est une compilation de 584 petits chapitres. Shen Kuo aborde toutes les questions possibles de sciences dures, de sciences humaines et de technologies, plus certaines questions philosophiques. Souvent, Shen Kuo part d'un problème pratique à résoudre (en technologie ou en épistémologie). Il cite alors généreusement les scientifiques ou techniciens qui ont travaillé sur ce problème, propose parfois ses solutions (comme en matière d'hydrologie ou de relevés astronomiques, par exemple). L'ampleur de ses connaissances techniques étonne, la plupart du temps en avance de six siècles sur l'Europe occidentale. En voici trois exemples.
Ainsi, Shen Kuo raconte l'invention de la typographie par le roturier Bi Sheng, entre 1041 et 1048. Sur la base connaissances antiques (notamment en sérigraphie), Bi Sheng invente la typographie avec des caractères mobiles en céramique. Shen Kuo remarque que cette technique, bien que très lourde s'il s'agit de reproduire quelques unités d'un texte, s'annonce très avantageuse pour le publier à plusieurs centaines ou milliers exemplaires (notons en passant que la typographie avec des caractères mobiles en métal ou en bois sera développée en Chine dans le courant du XII° siècle de notre ère).
En matière d'ingénierie hydraulique, Shen Kuo décrit avec minutie les procédés de la cale sèche inventés par le fonctionnaire Huang Huaixin pour réparer les immenses jonques centenaires de 60 mètres, avant 1077 (sous le règne de l'Empereur Xi Ning). Notre compilateur décrit également le mécanisme des écluses à poids, inventées au X° siècle par l'ingénieur Qiao Weiyo.
C'est avec les relevés astronomiques que Shen Kuo montre toute l'étendue de ses apports. Il améliore de nombreux instruments (gnomon, sphères armillaires, clepsydre notamment). Avec son collègue Wei Pu, Shen Kuo détermine les coordonnées exactes, bien plus précises, des mouvements apparents des planètes et de la lune. Ses enregistrements (trois fois par nuits pendant cinq ans) leur permettent d'établir des tables d'une précision inégalée. La découverte par Shen Kuo du mouvement de l'étoile polaire provoque une véritable révolution scientifique dans tout le pays et même son rival politique l'astronome Su Song accepte de corriger son atlas céleste.
Shen Kuo publie de nombreux autres ouvrages, aujourd'hui perdus ou connus par quelques rares citations.
L'on en connaît au moins cinq, dans des domaines aussi variés que l'astronomie, l'ethnologie, la pharmacologie, la géographie ou la poésie. Il compose des recueils de poèmes ou de documents administratifs partiellement conservés. Mais seul le Mengxi Bitan a été assez largement réédité pour que'on le connaisse encore aujourd'hui
en entier.