HEREDITAS
Hérédité, succession : dans ses Institutes, Gaius nous dresse un cours très détaillé sur l’histoire des testaments en droit romain (GAIUS Institutes II 99 à III 88), en y intégrant tous les paragraphes utiles aux héritiers et aux legs. Nous nous bornons ici à rappeler les règles générales sur la désignation des héritiers, les formes du testament, les principales caractéristiques de la succession ab intestat et les principales innovations des préteurs, si importantes.
Les autres considérations, multiples et variées (sur les détails de l’institution d’héritier et l’exhérédation, les legs et les fidéicommis etc.), ne seront pas traitées ci-dessous et le lecteur est invité à consulter des ouvrages spécialisés.
La rédaction d’un testament en droit civil romain repose sur des principes simples mais se révèle complexe par l’accumulation et le raffinement des règles. Dans son principe, le testament régit la transformation d’une familia en un essaimage de nouvelles familiae, du point de vue religieux et patrimonial. Du point de vue religieux, nous ne connaissons plus aujourd’hui que le ritualisme des formulations impératives pour de nombreuses dispositions du testament et quelques écrits théoriques (dont CICÉRON Traité des Lois II 19 à 21, ou §§ 48-54 : Heredum causa iustissima est etc.). Du point de vue patrimonial, nous connaissons encore bien les règles de l’institution d’héritier et les deux formulations possibles à l’exclusion de toute autre : Titius heres esto et Titium heredem esse iubeo. Il s’agit pour le de cuius de répartir ses biens, a priori entre tous ses fils, jusqu’alors ses alieni iuris, sachant qu’ils deviendront chacun son propre sui iuris au décès du testateur.
Les deux formes archaïques du testament sont pratiquées devant le peuple assemblé : l’un en temps de paix, le testament comital (fait devant les Comices réunis par curies) et l’autre en temps de guerre, in procinctu (fait devant l’armée avant le combat). Elles ne sont plus pratiquées au temps de la rédaction des Institutes de Gaïus (en 161 de notre ère).
Testamentum per aes et libram
La troisième forme de testament se fait en mancipation (y compris le rite par le bronze et la balance : per aes et libram). Outre les témoins requis par ce rite (cinq témoins ordinaires et un qui porte la balance), les protagonistes de ce mode d’héritage comporte trois rôles et au moins deux protagonistes : le testateur et le familiae emptor, l’intermédiaire qui prend la place de l’héritier temporairement (loco heredis) et fictivement achète la mancipatio, en faveur de l’héritier ou des héritiers (heredes) ; ce dernier doit (ces derniers doivent) recevoir l’héritage du familiae emptor. Le tiers joue un rôle d’exécuteur testamentaire. Tous sont citoyens, ou disposent ad minima du ius commercium.
Dans de nombreux cas, les héritiers ne sont pas en pleine capacité d’hériter : ce sont des filles ou petites-filles du testateur, des incapables (car impubères, ou en tutelle, ou encore en curatelle). Il peut s’agir aussi d’un(e) esclave à affranchir par ledit testament.
Régime successorial prétorien
Les lourdeurs ou les silences de la procédure par la mancipation, les failles évidentes de la loi civile en matière d’héritage, l’accélération de la vie économique et sociale, l’opportunité de nouvelles procédures juridiques, toutes ces raisons amenèrent à la création de nouvelles formes de succession à partir du VI° siècle de Rome (c’est-à-dire du milieu du II° siècle avant notre ère). C’est ainsi que naquit le régime successoral prétorien.
La première question que s’est posé le préteur sur la succession était d’attribuer la possessio quand deux héritiers revendiquant l’héritage d’un bien étaient tous les deux déboutés (par le rejet de leurs deux sacramenta). Il fallait trouver une solution provisoire, le temps que le cas soit tranché en faveur de celui qui serait reconnu définitivement propriétaire. Il prononce alors un décret (activant ce que les Modernes ont appelé la bonorum possessio decretalis) ou un interdictum quorum bonorum en faveur de celui qu’il estime le plus en mesure de devoir hériter définitivement. Ultérieurement, le possesseur se voit confier la pleine propriété en tant qu’héritier, mais il se peut également qu’en l’absence d’héritier civil ou en cas d’usucapion (usucapio pro herede), le possesseur finisse par devenir le nouveau propriétaire du bien possédé.
Dans un deuxième temps, le préteur hardi accorde facilement la possession à celui qui lui paraît le plus apte à confirmer ses droits civils (bonorum possession iuris ciuilis confirmandi gratia). Enfin, il étend cette procédure à qui semble devoir être favorisé, suppléant ainsi les dispositions du droit civil en matière d’héritage (bonorum possessio iuris ciuilis supplendi gratia), créant ainsi une catégorie d’héritiers prétoriens, différente de celle des héritiers quiritaires. Dès lors, en poussant cette hardiesse à son terme, le préteur accorde également, au VII° siècle, la possession à celui qu’il estime devoir hériter selon le droit prétorien, même à l’encontre des héritiers civils désignés (bonorum possessio iuris ciuilis impugnandi gratia : possession des biens en vue de combattre le droit civil)… Au siècle suivant, pour contrer l’acharnement des héritiers civils déterminés à évincer les héritiers prétoriens, le préteur finit par accorder au possesseur la bonorum possessio cum re (la b. p. avec la chose,c’est-à-dire dotée d’une pleine efficacité), lui permettant d’usucaper sans souci.
Enfin, le préteur saisi peut avoir à régler le problème d’une succession sans testament (ab intestat). Dans ce cas également, il choisit les héritiers possibles comme ceux qu’il reconnaît héritiers prétoriens.
Les héritiers prétoriens
Quels sont ces héritiers prétoriens ?
Tout d’abord, pour la succession ab intestat, il désigne ceux qui auraient été les héritiers civils s’il y avait eu un testament (les descendants agnatiques alieni iuris du de cuius, les gentiles, le patron de l’affranchi). En 680 de Rome, c’est-à-dire en 73 avant notre ère, Cicéron reconnaît que ce cas de bonorum possessio unde legitimi est alors fort ancien.
Toujours dans le cas d’une succession ab intestat, les héritiers prétoriens sont les cognats et les descendants : il leur est reconnu les bonorum possessio unde cognati et unde liberi. Deux grandes innovations se font jour : les parents du de cuius autres que les alieni iurus sont reconnus, y compris au septième degré (par exemple, enfants des cousins germains par les hommes ou par les femmes), introduisant enfin les parents cognatiques dans l’ordre de la succession. Cicéron nous informe que la b. p. unde cognati se développe encore timidement dans les années 685 à 690 de Rome (68 à 63 avant notre ère). Cet ordre de succession introduit également les fils émancipés dans l’ordre des héritiers prétoriens.
Enfin, le préteur accorde également une bonorum possessio unde uir et uxor (au conjoint survivant), ce qui garantit à l’épouse la possession du bien de son mari défunt, ce qui est aussi une innovation du droit romain.
Quand il existe un testament, l’intervention du préteur peut palier soit aux imperfections de forme du testament (qui entraînent en droit civil son annulation), soit aux omissions (volontaires ou non) du testateur. Si le testament est nul en droit civil pour raison de forme, le préteur accorde généralement la possession des biens à ceux qui auraient dû hériter conformément aux tablettes du testament vicié (bonorum possessio secundum tabulas). Mais si un héritier civil mieux placé dans l’ordre de succession que l’héritier malheureux pouvait l’emporter au civil, cette possession sine re était effacée au profit de l’héritier civil ab intestat. Les Romanistes modernes appellent ces documents « les testaments prétoriens ».
Le préteur reconnaît également le testament d’une femme sui iuris (par exemple bénéficiant du ius liberorum), dans les mêmes conditions peu résistantes à l’application rigoureuse du droit civil pur (b. p. sine re).
Enfin, si l’héritier d’un testament est désigné sous condition suspensive (désignait alors un héritier second), dont la réalisation peut être délicate à interpréter ou à réaliser, le préteur accorde à l’héritier premier une bonorum possessio secundum tabulas, sous condition toutefois de transférer l’hérédité de la chose à l’héritier second désigné une fois la condition réalisée (par exemple, quand le testateur désigne son héritier à naître, posthume).
Le détail de ces règles de succession prétorienne est présenté dans un édit spécial désigné sous le nom d’edictum successorum.
Pour les autres considérations concernant la succession (comme par exemple l’acceptation ou la répudiation d’une bonorum possessio, les restrictions à la liberté d’instituer des héritiers, mais aussi les innovations tardives aux époques impériales et byzantines), on lira avec profit des ouvrages spécialisés.