Les lois de l'Histoire
Les quinze premières années du XIXe siècle en Europe représentent un mouvement extraordinaire de millions de personnes. Les gens abandonnent leurs occupations habituelles, s'échinent d'un bout à l'autre de l'Europe, se volent, s'entre-tuent, triomphent et désespèrent, et tout le cours de la vie change pendant plusieurs années et représente un mouvement intense, qui va d'abord en augmentant, puis en s'affaiblissant. Quelle est la raison de ce mouvement ou selon quelles lois a-t-il eu lieu ? L'esprit humain se le demande. Les historiens, répondant à cette question, nous racontent les faits et discours de plusieurs dizaines de personnes dans l'un des bâtiments de la ville de Paris, appelant ces faits et discours du mot de Révolution. Puis ils livrent une biographie détaillée de Napoléon et de certaines personnes qui lui étaient sympathiques ou hostiles, parlent de l'influence de certaines de ces personnes sur d'autres et disent : c'est pourquoi ce mouvement a eu lieu, et ce sont ses lois. Mais l'esprit humain non seulement refuse de croire à cette explication, il affirme franchement que la méthode d'explication n'est pas correcte. Car dans cette explication le phénomène le plus faible est pris comme cause du plus fort. La somme de l'arbitraire humain a fait à la fois la Révolution et Napoléon, et seule la somme de ces arbitraires les a endurés et détruits. « Mais toutes les fois qu'il y avait des conquêtes, il y avait des conquérants ; chaque fois qu'il y avait des coups d'État, il y avait des gens formidables », dit l'histoire. En effet, chaque fois que les conquérants sont apparus, il y a eu des guerres, répond l'esprit humain, mais cela ne prouve pas que les conquérants étaient les causes des guerres et qu'il était possible de trouver les lois de la guerre dans les activités personnelles d'une personne.
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