INVERSION
vue par Amin MAALOUF
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Amin MAALOUF Le naufrage des civilisations Éditions Grasset 2019 pages 210 et 211
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C'est en gardant tout cela à l'esprit que je me penche à nouveau sur "l'inversion" qui s'est produite aux alentours de l'année 1979, quand diverses forces conservatrices ont levé l'étendard de la révolution, alors que les tenants du progressisme étaient acculés à la défensive.
En évoquant ce phénomène pour la première fois, j'avais précisé que ces "révolutions", aussi paradoxales qu'elles fussent, ne pouvaient être écartées d'un revers de main comme illégitimes ou usurpatrices. Ni simplement jugées comme une régression, sans autre forme de procès. Bien qu'elles suscitent chez moi comme chez tant d'autres de mes contemporains, des indignations et des inquiétudes, elles représentent un phénomène majeur de notre époque et méritent donc d'être considérées avec attention, avec discernement, et avec le souci de faire le tri entre leurs apports et leurs effets pervers, qu'il n'est pas toujours facile de distinguer.
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Ces "révolutions" se sont accompagnées de certaines transformations significatives dans les attitudes de nos contemporains. L'une des plus notables concerne la perception que l'on a désormais des autorités publiques et de leur rôle dans la vie économique.
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Rares sont ceux qui vantent encore les vertus du dirigisme, ou qui mettent en doute la puissance des lois du marché. La plupart des responsables politiques croient désormais à la nécessité de libérer les échanges, notamment celles des entreprises et des entrepreneurs, des divers carcans susceptibles de les entraver.
En Grande-Bretagne et aux États-Unis, les deux pays occidentaux qui furent les pionniers de la révolution conservatrice, ce dont on voulait "se libérer", c'était avant tout l'État-providence, à savoir la propension des autorités à prélever toujours plus d'impôts et à augmenter les aides sociales, afin de réduire l'écart entre les nantis et les défavorisés. En Chine, comme dans les autres pays qui avaient appliqué quelques temps les préceptes du "socialisme scientifique", ce dont on éprouvait le besoin de se débarrasser, c'était la gestion centralisée, dogmatique, bureaucratique, de l'économie, qui avait partout conduit à l'inefficacité, à la corruption, à la démoralisation généralisée, et aux pénuries chroniques. De fait, Deng Xiaoping n'avait pas les mêmes priorités que Margaret Thatcher ou Ronald Reagan ; mais il y avait entre eux une connivence certaine, puisqu'ils avaient tous les trois pour objectif ultime de bâtir une économie plus dynamique, plus rationnelle, plus productive et plus compétitive.
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