POÈTE
vu par Jean SCHUSTER
Jean SCHUSTER (en préface de) Benjamin PÉRET Le déshonneur des Poètes 1945
Le poète est celui qui affronte la raison non pour la détruire mais pour lui mesurer prestige et puissance, non pour en priver l’esprit, à la vie duquel elle demeure essentielle, mais pour l’écarter des contrées inspirantes où, sitôt qu’elle apparaît, le merveilleux se dissipe, le vertige s’édulcore. À cette raison froide et envahissante des rationalistes, qui assujettit le monde au seul principe de réalité, le poète veut substituer une « raison ardente », médiatrice du jeu dialectique entre le principe de réalité et le principe de plaisir.
En cela, le poète définit les conditions mentales de la liberté, le poète est révolutionnaire. Mais son entreprise, s’il est possible de la décrire historiquement, échappe aussi à l’Histoire, parce que, jusqu'à nouvel ordre, « L’Histoire n’est faite que du récit des hommes éveillés » (1), alors que « dans leur sommeil, les hommes travaillent fraternellement au devenir du monde » (2). Le poète est ainsi engagé dans un double combat, et tout en participant au combat historique des hommes éveillés, il ne peut y engager la poésie, la figer dans l’Histoire, narration d’une réalité partielle.
Le poète, en livrant aux hommes les images d’une réalité intérieure qu’il appréhende seul, en divulguant les sources du merveilleux, en forgeant les clés tragiques de l’amour, en inventant l’étiologie de l’espoir et du désespoir, ne suit qu’en apparence le cours de sa subjectivité. En fait, il tente de communiquer l’histoire voilée de l’Humanité en soumettant à tous les énigmes que le Sphinx a posé à lui seul. Telle est l’objectivité de la poésie. Telle est aussi sa trajectoire qui se développe à un niveau de conscience différent de celui où se situe le conflit historique des classes. À ce compte, le poète ne peut détourner sa parole, la prêter à des mondanités. Ce serait non point tant la faire descendre du sacré au profane, mais la frustrer de sa propre existence, et frustrer l’homme qui, au fond de sa misère sociale, reste la proie des images ; la poésie bannie ou confinée à la surface de l’événement, ce sont des images consolatrices, généreusement distribuées, de l’affabulation religieuse qui pénètre alors leur œuvre de malheur.
1 Références à retrouver
2 Références à retrouver
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